07 avril 2009
Filiation (7)
J'avais conclu ce dernier billet de la série par ces mots " Alors ma mère commença d'échafauder son grand projet de recherches ... "
Voici comment elle procéda.
Pendant mon enfance, j'en ai souvent entendu parler.
Il était généralement question de savoir pourquoi une mère abandonne son enfant.
Comment était-ce possible ?
Pourquoi à cinq ans ?
La familles proche, des amies étaient-elles au courant ?
Comment vivait-on avec ce passé ?
Etait-il irrémédiablement gommé, effacé ou bien refaisait-il surface par moment ?
Y avait-il eu d'autres enfants ?
Qui pouvait être le père ?
Je crois que ma mère se posait constamment ces questions.
Devenue mère elle-même, elle voulait savoir, essayer de comprendre peut-être.
Elle n'avait que des bribes d'informations pour échafauder des hypothèses. La date de naissance de sa mère, la sienne, celle de l'abandon à cinq ans, la date du décès de sa mère.
Quand ma grand-mère adoptive est morte en 1974, elle put se consacrer à ses recherches.
Munis des renseignements ci-dessus, nous partîmes en vacances en Alsace.
Je me souviens de la chaleur qu'il faisait ce jour-là lorsque que nous cherchions un nom sur des tombes ...
Nous avions aussi épluché l'annuaire de cette toute petite ville pour y repérer encore ce même nom. Oui il y avait bien des K. ici dans cette rue des Rameaux.
On y est allées ma mère et moi.
Un coup de sonnette en haut d'une volée de marches. Une vieille dame corpulente apparaît mais immédiatement un blocage survient. Elle ne parle presque pas français et nous pas alsacien ! Qu'à cela ne tienne, elle appelle sa voisine à la rescousse, curieuse de ce que lui veulent ces deux étrangères.
Ma mère avec aplomb se présente comme la fille d'une amie qu'une certaine Eugénie K. originaire de I. aurait fréquenté dans les années quarante à Paris.
Ces dames immédiatement réagissent au nom prononcé. Bien sûr qu'elles ont connu Eugénie. La première est même sa belle-soeur ! Dans le dos de ma mère, je n'en mène pas large et regarde discrètement cette femme qui est ma grand-tante par alliance.
Ma mère continue son mensonge bien préparé. Plus rien ne saurait l'arrêter ...
Savez-vous ce qu'est devenue la fille d'Eugénie demande t-elle.
Laquelle lui répond-on après traduction. Vous savez elle a eu trois enfants, un garçon puis deux filles.
En quelques secondes, ma mère apprend qu'elle a des frère et soeurs et nous nous retrouvons pourvues de renseignements qu'il n'est pas encore question de décortiquer. Il faut avant s'assurer qu'on parle des bonnes personnes, faire correspondre des dates, découvrir des prénoms et ... se rendre compte qu'on n'a jamais entendu parler d'une fille née en 1935 !
Ma mère n'ose insister mais arrive à soutirer une dernière indication très précieuse. Le prénom du fils cité plus haut, son âge approximatif et la ville où il habite avec sa femme.
Puis stupeur, la dame nous faisant signe d'attendre, rentre chez elle et en ressort avec une photo où posent trois jeunes femmes visiblement dans les années 20 d'après leur allure. Elle nous fait comprendre qu'elle est sur le cliché et qu'une des deux autres est cette Eugénie.
Ma mère accuse le coup et j'ose à peine regarder cette mère et grand-mère qui nous apparaît pour la première fois dans l'éclat de sa jeunesse ...
Une fois rentrés à l'hôtel avec mon père et mon frère, nous allons considérer toutes ces précisions, se les remémorer, les accepter aussi avec tout ce qu'elles ont d'inconnu mais qui nous le sentons confusément, semble la vérité.
La famille n'a jamais su qu'Eugénie a eu cette enfant là mais pourtant aujourd'hui sur cette vieille photo, ma mère a reconnu sa mère.
Le puzzle est maintenant en cours d'assemblage.
Il faut poursuivre ...
Écrit par Madleine dans Histoires de familles | Commentaires (13)
Commentaires
Dans ma famille, seule ma grand-mère maternelle a des origines un peu confuses. Elle fut abandonnée à la naissance, à Paris, en 1911. Puis envoyée dans une famille nivernaise avant 1915 visiblement, où elle fut élevée comme ses frères et sœurs... Quelques temps après son mariage avec mon grand-père, elle tenta d'en savoir plus. La seule chose qu'on lui dit c'est de ne pas chercher à savoir. Puis on lui laissa entendre qu'elle était l'enfant d'une fille de joie parisienne... Elle ne tenta jamais rien de plus, ni aucun de ses descendants. Et pour tous, les membres de sa famille adoptive sont nos vrais grand-parents, tantes, oncles et cousins...
Écrit par : Erin | 08 avril 2009
Répondre à ce commentaireC'est émouvant, très fort et beau...
Écrit par : Fauvette | 08 avril 2009
Répondre à ce commentaireMerde ça me fout des frissons, je me mets à la place de J.
Vache la claque quand même.....
Écrit par : Mr X | 08 avril 2009
Répondre à ce commentaireÉcrit par : Valérie de Haute Savoie | 09 avril 2009
Répondre à ce commentaireQuand tu écris "La seule chose qu'on lui dit c'est de ne pas chercher à savoir. Puis on lui laissa entendre qu'elle était l'enfant d'une fille de joie parisienne..." qui est ce "on" ? Pour ma mère c'était le directeur de l'assistance publique qui lui avait déconseillé d'entreprendre des recherches lorsqu'il lui donna ses papiers officiels de naissance et d'abandon à sa majorité.
Fauvette : merci ...
Mr X. : hé hé tu te rappelles de ces 3 marches pour les avoir montées plus tard car ce jour là tu n'étais pas avec nous. Tu étais resté chez Nicole je crois.
Valérie : ce qui s'est passé c'est qu'après avoir eu un premier enfant qu'elle a fait élever par sa soeur, elle ne pouvait certainement pas lui en confier un autre. Elle a tenté de s'en sortir seule en travaillant et en plaçant ma mère dans une famille jusqu'à l'âge de 5 ans. Ma mère s'est toujours imaginé se rappeler vaguement de ces personnes. Sa mère devait aussi venir la voir mais ses souvenirs sont très confus.
Puis on a appris, après avoir retrouvé sa famille, qu'elle a encore eu deux filles nées avant l'abandon de ma mère. Ensuite en 1940 elle s'est mariée avec le père de ces deux filles. Ce qui correspond à l'année de l'abandon. Est-ce cet homme qui l'y a obligée ? C'est ce que ma mère s'est plu à croire pour l'absoudre un peu je pense ! Voilà ce que j'en sais.
Écrit par : Madeleine | 09 avril 2009
Répondre à ce commentaireÉcrit par : swahili | 10 avril 2009
Répondre à ce commentaireÉcrit par : Madeleine | 11 avril 2009
Répondre à ce commentairebises
Écrit par : telle | 12 avril 2009
Répondre à ce commentaireDonc, grosso modo, ça a donné : yeux qui se brouillent, larmes qui coulent, nez qui s'encombre, et mouchage sonore pour finir... et tout ça au boulot !!!
On a beau connaître l'histoire... les 3 marches, cette petite rue qui monte, t'imaginer avec J. à l'âge de ma grande maintenant... ouais, la claque !
Écrit par : Elric | 14 avril 2009
Répondre à ce commentaireIl y a toute une partie de ma famille que je ne connais pas. Je sais qu'elle existe, quelque part, mais ni mon grand-père, ni mon père n'ont jamais souhaité entamer de recherches, à ma connaissance. BIzarrement, ça n'a pas eu l'air de leur manquer. Mais parfois, j'y pense.
Alors oui, si on en a envie ou besoin, il faut continuer...
Écrit par : Anne | 14 avril 2009
Répondre à ce commentaireElric : et de deux ! hé hé ça marche ;-))
Anne : beaucoup de familles ont leur part d'ombre ...
Écrit par : Madeleine | 14 avril 2009
Répondre à ce commentaireC’est un beau récit et un merveilleux moment, qu’un grand nombre, dont l’identité reste une énigme souhaiterait vivre. Mais, dans l’instant, la crainte de l’inconnu, la crainte de lever le voile sur un imaginaire parfois idéalisé, doit tétaniser.
Amicalement
xuan-lay
Écrit par : xuan-lay | 14 avril 2009
Répondre à ce commentaireÉcrit par : Madeleine | 15 avril 2009
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